Au hockey, des rituels comme le Three Cheers ou la mise en jeu traditionnelle avaient pour fonction de symboliser le respect et le fair-play entre adversaires. Cependant, ces pratiques se perdent peu à peu, remplacées par des gestes plus utilitaires et une focalisation sur la motivation interne des équipes. Faut-il s’inquiéter de cette évolution, ou est-ce simplement l’adaptation naturelle du sport à son époque ? Retour sur des rituels qui structurent plus qu’ils n’y paraissent.
Three Cheers, deux mots qui sont dits, qu’on a souvent entendus, mais qu’on a rarement vus écrits, au point qu’on ne les reconnaîtrait même pas. Le three cheers, aussi prononcé « tri-cheese » ou « street-cheese », est une pratique qu’à la rédaction nous n’avons jamais rencontrée que dans le hockey. Elle consiste en ce que le capitaine d’une équipe, juste avant la mise en jeu, crie haut et fort le nom de l’équipe adverse suivi du nom de sa propre équipe, puis un tonitruant « HIP », et les autres joueurs de son équipe répondent par un tout aussi tonitruant « Hey ». Et ceci est répété de coutume trois fois et par chacune des deux équipes.
L’origine de cette pratique se trouve dans l’ADN anglais de notre beau sport. À l’instar du football et du rugby, le hockey sous sa forme actuelle s’est développé en Angleterre, où le premier club, le Blackheath Football and Hockey Club, a vu le jour à Londres en 1861.
Il est de tradition britannique, héritage d’une pratique militaire et navale, de se rassembler en tant qu’équipe et de répéter par trois fois « Hip Hip Hooray ! » avant une rencontre. En hockey, et au-delà de l’encouragement, ce rituel servait à honorer l’équipe adverse pour l’esprit sportif, célébrer le sport et promouvoir le fair-play qui sera de mise pendant la partie. On peut dire que c’était une manière de prendre un engagement formel envers son adversaire du jour. Et de fait, en Belgique, pour tous les joueurs qui ont foulé les terrains avant le début des années 2000, on entendait de part et d’autre un tonitruant « Hip Hey » avant que l’avant-centre ne s’approche de la balle pour la « donner » à l’adversaire et débuter la rencontre.
Ca ne sert à rien?
Mais ça, c’était avant. Depuis plus de deux décennies, le Three Cheers ne se dit plus face à l’adversaire. Cela fait bien longtemps qu’avant de prendre leur place sur le terrain, les joueurs se rassemblent en cercle aux 25 yards (devenus mètres d’ailleurs) pour un discours de motivation suivi toujours d’un « HIP », puis d’un « HEY », avant de faire face aux adversaires. Les mots sont donc bien les mêmes, mais la manière ne l’est plus du tout. Au point que lorsque la question est posée aux plus jeunes générations en leur demandant « à quoi ça sert », la réponse est toujours la même : « à se motiver, s’encourager, à se donner de la hargne ».
Il n’y a donc pas de conscience de la part des plus jeunes de l’ancrage profond du fair-play, du respect et de l’engagement envers les adversaires dans la pratique du hockey.
Pour la mise en jeu aussi, on constate ces dernières années des changements à la limite du choquant pour les pré-milléniaux. Depuis plusieurs années maintenant, la balle n’est plus vraiment donnée à l’adversaire. L’ancienne pratique consistait à passer la balle au milieu défensif, au stopper ou aux backs d’ailes adverses. Lorsque l’avant-centre avait la maladresse de louper son coup et de mettre la balle en touche ou sur la ligne de fond, il n’était pas rare d’entendre des grognements, et bien sûr celui-ci s’excusait platement de ce « vilain » geste.
Ce qui était l’objet d’excuses hier est devenu pratique normale aujourd’hui. Fini l’élégante passe suivie d’un « bon match ! » scandé par le futur buteur, maintenant on flick pour mettre la balle dehors, et on part immédiatement en presse haut sur la défense adverse. Et ça ne pose aucun problème… à personne. Il n’y a pas un jeune joueur qui soit choqué par cette pratique. C’est tout simplement comme cela qu’on joue aujourd’hui ! Il suffit d’ailleurs de voir un jeune joueur affronter une équipe plus âgée. Lorsqu’il met la balle en jeu et que son geste génère l’indignation, il n’a aucune conscience de la raison pour laquelle tout le monde s’indigne, et regarde les grisonnants ronchons avec des points d’interrogation dans le regard.
Les temps changent, les pratiques aussi, mais est-ce que cela a un impact ? Il n’y a pas une ligne dans le règlement qui impose le Three Cheers ou la passe à l’adversaire. Ce sont donc des rituels coutumiers qui se perdent, un point c’est tout, pas de quoi trop s’inquiéter !
Oui, mais en fait… non.
Le rituel joue un rôle central dans la structuration d’un groupe. La répétition systématique des pratiques est le reflet des valeurs et des normes qui sont importantes et véhiculées par le groupe. Hors de question, dans certaines familles par exemple, de louper le poulet rôti du dimanche car ce rituel consacre (rend sacré) l’unité familiale et les liens qui l’unissent.
Dans la pratique du hockey, nous l’oublions peut-être, mais 22 joueurs s’affrontent, tous armés d’un bâton suffisamment solide pour fracasser le crâne d’un autre. Bien sûr, il y a un arbitre, mais comme son nom l’indique, il est là pour arbitrer, rappeler et trancher à propos de la règle. Il incarne celle-ci et l’ensemble des directives officielles, c’est d’ailleurs souvent l’autre nom qu’on lui donne, « l’officiel » ou referee en anglais.
La règle... et l'éthique !
L’éthique sportive, en revanche, va bien au-delà : c’est l’esprit du fair-play, le respect de l’adversaire et des décisions, elle est la responsabilité de chaque joueur. Si l’arbitre sanctionne la faute commise, l’éthique connue par le joueur doit prévenir que celui-ci la commette volontairement. Quoi qu’en disent les grands défenseurs de la « faute nécessaire».
Un rappel systématique, au début des matchs, que chaque joueur individuellement prend l’engagement de respecter cette éthique et ces valeurs, est-il vraiment inutile ou obsolète ? Un geste ou un cri, dont l’objet est connu de tous et qui a pour rôle de rappeler consciemment à chaque joueur et spectateur qu’ici, on joue au hockey, et que nos valeurs sont celles du fair-play et du respect de l’autre, ne devraient-ils pas être défendu et maintenu bec et ongles ?
L’esprit humain est ainsi fait que, s’il a consciemment pris l’engagement de quelque chose, rompre cet engagement en commettant une faute dont il a conscience lui sera plus difficile. Et ce n’est pas aux parents de le prendre pour les jeunes, ni à l’arbitre de brandir une petite médaille en fin de match, mais bien au joueur d’en prendre l’engagement, en début de rencontre, le regard dans celui de l’adversaire.
L’auto-motivation, certainement, c’est essentiel avant le match et conservons-la comme c’est le cas maintenant… Ensuite, et avant la mise en jeu, un Three Cheers ! Et à celui qui demandera : « Tiens, c’est quoi ce que vous criez ? ». Répondez-lui qu’on est au hockey, et qu’au hockey c’est cela qu’on fait, qu’on est fair, et qu’on en est fier !
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