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De membres à clients : un virage dangereux

Dernière mise à jour : 16 déc. 2024

De l’engagement total au calcul personnel, le monde des clubs de hockey en Belgique subit une transformation parfois inquiétante. Les bénévoles disparaissent, et le collectif s’efface au profit de l'individu. Un basculement qui pourrait coûter cher à l’âme de notre sport.

Dans certains clubs de hockey en Belgique, on sent monter un changement de comportement qui pourrait avoir un impact plus profond si celui-ci s’installe de manière durable. Là où les membres s’investissaient autrefois sans compter, prêts à donner de leur temps pour aider à l’entretien des installations, au service dans le club house, ou l’encadrement des plus jeunes, une attitude de plus en plus centrée sur les droits acquis par la cotisation semble désormais s’installer. L’attachement au club et l’engagement font place à une approche transactionnelle, où la cotisation devient une monnaie d’échange pour des services, et non plus un engagement au service du collectif.


Ce changement, bien que subtil, s'avère être une réelle menace pour les clubs mais aussi pour l’esprit même du hockey. Notre sport repose largement sur la passion des bénévoles et l’engagement des membres. Dans une très grande majorité des clubs, sans ces deux éléments, le château de cartes s’effondre. Il suffit de prendre pour exemple les milliers de bénévoles qui œuvrent tous les week-end comme managers d’équipe ou arbitres. Sans toute l’énergie qu’ils et elles déploient, pour le seul plaisir des membres, les week-end sombreraient tout simplement dans le chaos et rien ne serait possible.


Yuval Noah Harari, dans son ouvrage Sapiens, souligne qu’au sein de groupes de plus de 150 personnes, l’esprit de groupe s’amenuise naturellement, les liens intuitifs se fragilisent. Pour contrer cet affaiblissement des liens sociaux, les communautés doivent se forger des valeurs et des croyances partagées, des mythes, ou encore des règles de conduite. Historiquement, les clubs de hockey, et plus largement les clubs de sport amateur, ont su bâtir cette « mythologie » autour de valeurs communes comme l’entraide, le sacrifice pour l’équipe et le respect des anciens. Mais aujourd'hui, avec une croissance fulgurante des effectifs et l’augmentation des demandes de services directs, ces valeurs perdent de leur éclat. On ne sait pas ou plus ce qu’est un « three cheers » et on ne s’est jamais demandé d’où le club tirait son nom.


Les récentes recherches sociologiques confirment cette montée de l’individualisme. Jean Twenge, psychologue sociale à l’Université de San Diego, révèle dans Generation Me une tendance à privilégier l’accomplissement personnel au détriment de l’engagement collectif. Cela s’exprime par une quête d’autonomie et une importance accrue donnée aux droits individuels, souvent au détriment des devoirs envers un groupe. Ce phénomène, si courant aux États-Unis, se propage également en Belgique. Dans le hockey, ce constat se traduit par une vision « client » : ayant payé leur cotisation, certains membres considèrent souvent avoir droit à des services immédiats et sans réellement de contrepartie, ou une participation active au bon fonctionnement du club.


Pour les clubs, cette attitude clientéliste pose des défis importants. Les bénévoles, jadis le pilier central des clubs, se font de plus en plus rares, même dans les tribunes pour les matchs de l’équipe première. Les parents ou membres adultes hésitent désormais à donner de leur temps, préférant une implication minimale ou du moins conditionnée.


Paradoxalement, ce repli individualiste intervient à une époque où de nombreux jeunes, souvent très engagés pour des causes sociales ou écologiques, manifestent un regain d’intérêt pour le collectif. Dans The Righteous Mind, Jonathan Haidt note par exemple que des enjeux globaux comme la crise climatique ou la justice sociale favorisent chez les jeunes générations un retour vers des valeurs de solidarité, de collectif, et de sacrifice personnel. Ces jeunes sont nombreux à vouloir participer à des mouvements globaux, avec parfois un détachement vis-à-vis des enjeux locaux. Ce contraste illustre bien l’un des paradoxes de notre époque : les valeurs de solidarité subsistent, mais se déplacent vers d’autres domaines que les structures locales, comme les clubs.


D’autres chercheurs, comme Robert Putnam dans Bowling Alone, expliquent également cette désertion des clubs par la montée en puissance des interactions virtuelles et de la satisfaction personnelle obtenue par des moyens plus individualistes. En Belgique, cela se traduit par une baisse de la participation aux tâches bénévoles et une focalisation accrue sur l’expérience personnelle. Dans un club, cela se manifeste souvent par des demandes de services et d'installations irréprochables, sans investissement proportionnel en temps ou en efforts de la part des membres. Les clubs de hockey, qui ont longtemps fonctionné grâce à la bonne volonté de leurs membres, peinent ainsi à répondre aux attentes de services tout en compensant l'absence de bénévolat. L’augmentation de la cotisation n’est bien sûr qu’une fuite en avant sans résoudre le cœur du problème.


Toutefois, il est important de souligner que l’individualisme n’a pas totalement effacé l’esprit d’engagement. Dans un monde en crise, avec des défis planétaires, certains sociologues observent un retour aux valeurs communautaires. On a constaté que la pandémie de COVID-19 avait réactivé l'esprit de solidarité dans de nombreuses villes d’Europe. Dans les moments de crise, le besoin d’appartenance à un groupe de soutien s’est renforcé, et les individus se sont de nouveau tournés vers des actions d'entraide et de bénévolat. Ce besoin de solidarité s’exprime souvent dans des groupes locaux, mais moins dans les structures sportives, qui peinent à en capter l’énergie.


Cette dichotomie – d’un côté, une individualisation accrue des pratiques sportives, et de l’autre, un regain de valeurs collectives autour de causes globales – impose aux clubs une profonde réflexion sur leur modèle de fonctionnement. Comment attirer des bénévoles dans une société où l’investissement collectif diminue ? Des initiatives existent, comme celle de certains clubs qui instaurent des contreparties pour les membres bénévoles (réductions sur les cotisations, accès à certains services). Toutefois, il semble essentiel de réactiver l’attachement aux valeurs d’appartenance, en rappelant que sans cet engagement, les clubs ne pourraient tout simplement pas exister.


Les mots de John F. Kennedy résonnent ici de manière particulièrement forte : « Ne vous demandez pas ce que votre club peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour votre club. » La pérennité du hockey en Belgique, dépend aujourd’hui de cette capacité des clubs à recréer du lien et à transformer de nouveau leurs membres en participants actifs. Au-delà de la cotisation, il s’agit de redonner vie à une culture de l’engagement pour que le hockey reste une école de la vie, où le collectif prime sur l’individuel. Car en fin de compte, c’est bien cette dynamique collective qui permet aux jeunes générations de se former, de grandir dans un cadre porteur de valeurs et de liens authentiques.


L’individualisme grandissant et la logique de « client » représentent un danger pour l’avenir des clubs de hockey en Belgique. Sans bénévoles engagés, le modèle même de nos clubs risque de s’effondrer, en menaçant l’avenir de nombreuses structures. Pour les clubs belges, il est plus que temps de rappeler aux membres que le sport n’est pas seulement une prestation, mais aussi un engagement. Recréer du lien autour de valeurs fortes, rappeler les mythes fondateurs des clubs et dépasser la simple cotisation sont aujourd’hui des priorités pour que le hockey continue à construire un esprit collectif, et à former une nouvelle génération de passionnés, non pas « clients », mais bien acteurs de leur club.

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