Sélections naturelles ou conflictuelles?
- GRGT

- 2 juin
- 6 min de lecture
Réservées autrefois à l'élite des clubs, les sélections investissent aujourd’hui tous les terrains. Backstick s’est baladé dans le Brabant-Wallon pour faire le point sur les approches des uns et des autres. Ça ne fait pas que des heureux, mais les clubs ont-ils le choix?
Ce qui est vécu comme un échec par les uns, est vu comme un challenge par les autres.

Fin mai, début juin, juste avant les examens, sonne l'heure des sélections pour les catégories jeunes dans les différents clubs de Belgique. L'opportunité pour les joueurs de catégories U14 à U19 (parfois même plus jeunes pour certains clubs) de se confronter à eux-mêmes et aux autres. Avec quelle approche? Quels sont les objectifs des clubs et des responsables d’écoles de jeunes? Et qu'en est-il du ressenti des ados après ces épreuves parfois très frustrantes? Nous sommes allés à la rencontre de spécialistes dans le Brabant-Wallon.
Les sélections ont toujours eu lieu. Pas de manière aussi officielle ou structurée, mais cela a toujours existé. Par les entraînements tout au long de l’année ou lors de moments plus ponctuels, les clubs sélectionnent les joueurs d’équipes 1, 2 ou 3 en fonction de leurs niveaux, performances et comportements sur le terrain. Ce qui est plus récent, en revanche, c’est ce rendez-vous test d’après saison offrant la possibilité à des jeunes de participer aux sélections dans tout le pays et de tenter d'arracher une place dans l’équipe 1 d’un autre club.
Des choix objectifs et structurés
Responsable de l’école des jeunes à Waterloo, Jeremy Caenen nous explique comment cela se passe. «Le ‘Wat’ affiche plus de 1.600 membres. Dans certaines classes d’âges, nous devons donc répartir plus de 100 jeunes dans sept équipes différentes. Il faut dès lors aborder cela de manière objective et structurée.» Une présélection est d'abord organisée maintenant en mai/juin. Elle rassemble les joueurs de catégorie 1 - en âge de rester ou de monter de classe - et ceux de catégorie 2. Les joueurs des autres classes ne sont pas conviés. «L'objectif est de créer un premier noyau de 26 hockeyeurs. Lequel descendra à 18 joueurs en août et, ensuite, à 16 personnes trois semaines avant le début du championnat.»
Qu’en est-il des joueurs extérieurs au club quand les résidents sont déjà aussi nombreux? «On ne fait pas ou plus de publicité poursuit ce responsable. Les demandes arrivent d’ailleurs bien souvent avant les sélections. Dans ce cas, nous proposons aux joueurs de venir assister à deux entraînements pour voir si le ‘feeling’ avec le groupe est bon et pour évaluer ensuite leur niveau. On sera très francs et très clairs sur leurs chances de sélection et on indiquera au candidat en question s'il se situe entre la première et la douzième place, ou plutôt entre la treizième et la dix-huitième. A lui ou elle, ensuite, de décider de prendre le risque de ne pas être repris dans le noyau 1.»
Donner sa chance à celui qui a faim
Et comment gérer l’échec quand on n'est pas invité à passer les présélections ou qu’on n'est pas repris dans le noyau? «On est peu confronté à cela. Les jeunes sont assez réalistes et sont rarement surpris de ne pas être présélectionnés. Dans le cas contraire, le club dispose d’une fiche de compétences ou d'une grille d’évaluation pour chaque hockeyeur. Celle-ci est mise à jour tout au long de l’année par l’entraîneur du joueur, le coach, ou moi-même, et peut être consultée par le hockeyeur afin de connaître ses qualités et ses défauts. Mais il est très rare qu’un joueur de U16 B4, par exemple, réalise en un an une telle progression qu'il se voie offrir une place dans la sélection fanion ou même dans l'équipe 2.
Le premier objectif des sélections est donc avant tout de répartir les joueurs en fonction de leur niveau, afin d'obtenir des groupes dans lesquels chacun trouve sa place. C’est aussi ce que nous disent Pierre-Emmanuel Coppin, dit «PEC», et Bertrand Lodewyckx, responsables des sélections au Lara. «Notre but est de former des noyaux homogènes et de faire en sorte que chacun reçoive le temps de jeu qui lui revient. Il faut offrir aux joueurs qui ont «faim» une option Top Hockey dans laquelle ils pourront progresser et se développer. Quel que soit leur niveau de départ.» A Wavre, tout le monde peut passer les sélections. Un joueur qui a travaillé toute l’année pourra dès lors tenter sa chance et faire ses preuves pour prendre une place, sa place. Mais que faire des déçus? «On ne laissera jamais sur le côté un joueur qui a envie de progresser. Nous avons aussi un niveau ‘développement’ dans lequel le joueur pourra s’améliorer et, à force d’efforts, espérer rejoindre le groupe qu’il ambitionne.» Bref, des déceptions, peut-être, mais ici pas d’échecs. Cette filière développement transforme immédiatement le vécu en opportunité de se challenger. Quant aux extérieurs au club, ils seront toujours les bienvenus... Mais quand les places sont chères, il faudra se montrer supérieur aux résidents. Priorités aux Crocos!
La crème de la crème
Chaque année, les clubs sont invités par la fédération à envoyer leurs meilleurs éléments aux sélections district. Une autre opportunité pour ces jeunes de se mesurer aux joueurs de leur âge, considérés comme le gratin de leur région. «Ce n’est jamais ressenti comme un échec chez nous, décrypte Olivier Nailis, sélectionneur en U14, mais comme une expérience très spéciale. La plupart en profitent du début à la fin. C’est l’occasion d’entendre d’autres coachs, d’apprendre de nouvelles choses pour s’améliorer, ou de se rendre compte qu'il reste pas mal de boulot. Rares sont ceux qui en ressortent déçus. Ils repartent plutôt avec un sentiment de fierté ou avec la mesure du défi à relever!
En club, par contre, le ressenti n’est pas le même. Ne pas être sélectionné alors qu’on ambitionnait une place en équipe 1 est souvent considéré comme un réel échec. Et face à cela, les réactions de l’adolescent ne sont pas toujours les mêmes. En pleine construction de soi, l’échec vécu dans des domaines comme le sport peut être à la fois dommageable en termes d'amour-propre, mais aussi de reconnaissance de ses pairs.
Soutenir avant, accompagner après
Face à l’impossibilité de gérer la tristesse ou la déception de ne pas avoir été pris, mais aussi d’affronter le regard des copains du groupe dont on ne fait pas ou plus partie, la colère est une réaction fréquente. L’ado est enragé par cet échec qui perturbe l’image qu’il a de lui-même et sa capacité de répondre à ses attentes ou à celles de son entourage.
Le rôle des parents, des mentors et des entraîneurs est donc fondamental. Il est essentiel de présenter l’échec sous un autre jour, comme une opportunité d’apprendre et de se dépasser. «Il faut l’aider à différencier la joie, le plaisir de jouer au hockey et la déception liée à la compétition à laquelle l’ado a pris part, explique Vincent Lustygier, psychiatre et thérapeute comportementaliste. Et replacer cela dans une temporalité, ce qui se passe maintenant n’est pas forcément ce qui se passera demain. On a très souvent vu des espoirs ne pas se confirmer et d’autres se déclarer sur le tard. Cela fait partie des leçons de vie et c’est sous cet aspect que l’adulte, sans jugement, peut le proposer.»
Les encourager à persévérer malgré l’échec et voir les difficultés comme des défis à surmonter peut renforcer leur résilience. Olivier Nailis confirme: «Face à l’échec, il faut toujours se fixer des objectifs atteignables. De quoi ai-je envie? Est-ce que je veux vraiment jouer en 1? Et si oui, qu’est-ce que je dois améliorer? En combien de temps? Se dire qu’on veut jouer comme Boon, Boccard ou Ballenghien, ce n’est pas un objectif, c’est un fantasme. Si on est en catégorie 2 et qu’on veut monter en première, le but réaliste sera d’identifier un des moins bons hockeyeurs de l’équipe 1 et de travailler dur pour être meilleur que lui.»
Mais avant toute chose, et tous les intervenants que nous avons interrogés s’accordent à le dire, l’élément primordial reste l’envie. Un enfant qui a envie, ça se voit et ça se ressent. Au point de prendre parfois le pas sur le talent, tant cette envie de se dépasser transcende tout. Avant de les confronter à un échec potentiel, il est donc fondamental de vérifier si c’est réellement ce dont ils ont envie. Car derrière l'ambition apparente de jouer au plus haut niveau se cache parfois l’influence des pairs ou la volonté de ne pas décevoir ses parents.
Puis il y a la notion de sacrifice. Aujourd’hui, jouer dans l’équipe une va souvent de pair avec un régime d’entraînement plus soutenu, donc moins de temps avec les copains en dehors du hockey. Mais aussi une croix sur les vacances. Combien de parents a-t-on entendu se priver d’une semaine de vacances en novembre ou à carnaval, ou les deux, parce que l’enfant ne pouvait pas rater tel rencontre ou que l’entraînement était obligatoire. Si l’enfant, ou la famille, n’est pas prêt à de tels sacrifices, peut-être est-ce juste qu’il laisse sa place à un autre, insatiable, qui lui est prêt à tout abandonner et sera le prochain Tom Boon.




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