Depuis plusieurs années, il est devenu une tradition de lever le pied sur l’alcool pendant le « Dry January » et la tournée minérale de février. Nous avons rencontré le docteur Marc Vincent, membre de la commission médicale de la fédération LFH, et le docteur Thomas Orban, médecin généraliste, membre de la Société française d’alcoologie et cofondateur de la cellule alcool de la Société Scientifique de Médecine Générale. Il est l’auteur du livre « L’alcool sans tabous », spécialement dédié aux 12-35 ans. Avec lui, nous avons fait le point sur la consommation d’alcool chez les jeunes et la troisième mi-temps.

Le Dry January a été lancé en 2013 au Royaume-Uni par l’organisation Alcohol Change afin d’encourager les gens à passer le mois de janvier sans consommer d’alcool après les fêtes de fin d’année. Chez nous, cette même initiative a été portée par la Fondation contre le Cancer en 2017, qui a lancé la Tournée Minérale reposant sur le même principe. Depuis, il est devenu une tradition pour certaines personnes de s’y tenir et de lever le pied pendant un, et parfois même les deux mois. Ces deux mois, pour le hockey, sont synonymes de trêve hivernale en outdoor, et donc aussi l’occasion pour certains joueurs de se prêter à l’exercice de ces tournées dry en l’absence de la traditionnelle troisième mi-temps.
Si certaines pratiques dans le hockey se sont perdues avec le temps, la troisième mi-temps, elle, tient bon le bar et reste de mise dans toutes les divisions. Alors que le sponsor de la Division Honneur hommes et dames est une marque de bière sans alcool, quel rôle joue cette tradition dans la consommation d’alcool des jeunes dans le hockey ? Et d’ailleurs, une petite troisième mi-temps pour un jeune de 16 ans qui joue en U19, est-ce vraiment un problème ?
Pour répondre à ces questions, nous avons interrogé un spécialiste, le Dr Thomas Orban, généraliste de formation et spécialisé en alcoologie. Il a publié en janvier 2003 « L’alcool sans tabous » aux éditions Mardaga, un ouvrage destiné aux 12-35 ans dans lequel il offre des réponses à des questions qu’on ne se pose jamais et des solutions pour éviter la surconsommation.

Ce n’est pas une question de morale, mais de santé
Le repère de départ à prendre, particulièrement lorsqu’il s’agit de jeunes, est ce qui est conseillé aujourd’hui par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) en matière de consommation d’alcool. Il n’y a pas de seuil auquel l’alcool est totalement sûr pour la santé. Même à faible niveau, sa consommation augmente sensiblement les risques de maladies comme le cancer, les maladies cardiovasculaires et les troubles du foie. Cela a le mérite d’être clair : la recommandation de l’OMS, c’est tout simplement zéro alcool.
Les guidelines pour une consommation à faible risque sont de 10 unités d’alcool par semaine pour les femmes comme pour les hommes, soit 1 verre de vin ou une pils de 25 cl. Mais bien sûr, il ne s’agit pas de consommer son « quota » hebdomadaire en une fois, puis plus rien pendant six jours. Le maximum quotidien recommandé est fixé à deux unités, et il est conseillé de prévoir deux jours sans alcool entre deux consommations. Ce qui signifie, si nous comptons bien, qu’en respectant ces règles, il est impossible d’atteindre les dix ou quinze unités recommandées.
Mais cela, c’est pour les adultes. Pour les adolescents, c’est assez carré : pas d’alcool du tout ! Et la raison n’est pas morale, mais relève de la science et des neurosciences. En 2015, des recherches ont confirmé que le cerveau atteint sa pleine maturité à 25 ans, en particulier le cortex préfrontal, qui est lié à la prise de décisions, au contrôle des impulsions et à la planification. L’éthanol est un neurotoxique, corrosif pour les nerfs, et toxique dans la construction du cerveau. La consommation d’alcool à l’adolescence perturbe son développement, affecte la mémoire, la capacité d’apprentissage et le contrôle émotionnel, en raison de la sensibilité accrue des circuits neuronaux en formation. Des fonctions dont, en tant qu’étudiant, il aura particulièrement besoin à court terme s’il veut mener à bien les études qu’il envisage. Cela augmente aussi considérablement les risques de dépendance à l’alcool à l’âge adulte.
Ce n’est donc pas « mal » de boire. Il ne s’agit pas d’une injonction morale qui tendrait à désigner le buveur comme un objet de pudibonderie. L’éthique n’est pas en cause ; il en va de la santé du jeune et de son développement cérébral. Ce n’est pas « mal », c’est mauvais pour lui.
Le rite initiatique de passage
Pourtant, la consommation d’alcool est en recul dans notre pays. Ce n’est pas très difficile, puisque la Belgique est l’un des plus grands consommateurs d’alcool, avec une consommation d’alcool pur de 12,1 litres par habitant de plus de 15 ans. C’est le double de la moyenne mondiale, qui est de 6,4 litres.

L’alcool tient une place particulièrement problématique dans notre société et joue un rôle très perturbateur dans les groupes de jeunes. Si on regarde de plus près les équipes de jeunes, et plus particulièrement les U19, ce sont des groupes dans lesquels se mélangent plusieurs catégories d’âges. Un ado d’à peine 16 ans pourra côtoyer un jeune adulte de 19 ans, et cela entraînera bien sûr des rapports de force et des pressions dans lesquelles le plus jeune n’a pas les armes pour faire face. L’arrivée dans certaines équipes d’âge est souvent associée à des rites de passage, comme le baptême, qui va de pair avec ses épreuves et surtout ses à fonds. Impossible pour un jeune qui débarque dans un groupe constitué d’aînés, et dans lequel il doit se faire sa place, de refuser de boire. Mais il n’y a pas que dans ces événements exceptionnels que le refus de l’alcool est difficile. Il est fréquent d’entendre à une table de troisième mi-temps un « pas d’ice-tea sur la cagnotte ! » scandé haut et fort, tuant dans l’œuf la tentative de ne pas boire ce jour-là.

La question piège est la suivante : des débordements et des consommations excessives arrivent-ils souvent ? Seuls les clubs et les personnes derrière les bars le savent. Mais si vous voulez en avoir le cœur net, il suffit de faire un tour des clubhouses un samedi en début de soirée ou un dimanche soir après les rencontres du week-end.
Cul-sec, bien plus qu’on ne le croit
Mais les conséquences ne s’arrêtent pas au développement cérébral. Pour un sportif, il est important de connaître les impacts exacts que la consommation d’alcool a sur le corps et les performances. Concrètement, l’alcool bloque une enzyme (le LDH, lactico-déshydrogénase), ce qui empêche l’élimination de l’acide lactique. On récupère donc moins bien après l’effort. D’autre part, c’est connu, les boissons contenant plus de 4 % d’alcool ont un effet diurétique. Cela signifie qu’elles poussent le corps à éliminer plus d’eau qu’elles n’en apportent. En clair, elles assèchent le corps au lieu de le réhydrater. Conséquences sur la pratique sportive : moins d’endurance et un risque accru de blessures graves. Pourtant, qui attribuerait ce claquage ou cette blessure aux bières d’après-match ? On préférera accuser le manque d’échauffement, des chaussures usées ou un faux mouvement plutôt qu’une soirée bien arrosée deux jours plus tôt.
Bien sûr, il serait malhonnête de jeter la bière sur le hockey en particulier. Le rugby n’est certainement pas en reste, et le monde estudiantin, fait de baptêmes, cantus et autres guindailles, porte les mêmes caractéristiques. Le non-buveur est un paria : il n’a que très peu sa place dans ces activités. S’il veut participer à ces rites de passage et faire partie intégrante du groupe, il devra en passer par la phase à fonds, biture et autres grandes caucasiennes. Le non-buveur, ne suivant pas le mouvement , risque de se sentir exclu du groupe uni par et dans l’ivresse.
Des clubs sans alcool, possible ?
La législation sur le tabac s’est encore durcie depuis le 1er janvier 2025, puisqu’il est maintenant interdit de fumer dans l’enceinte des clubs de sport et dans les endroits publics. Plus de cigarettes en terrasse donc. Pour fumer, il faut sortir non seulement du bar, mais aussi du club, et se tenir à au moins 20 mètres de l’entrée. Arriverait-on à imaginer qu’une telle mesure soit prise un jour pour l’alcool ?
En Australie, les clubs sans alcool ont commencé à voir le jour, et ils sont en croissance. Cela rappelle que l’HoReCa, au moment de l’interdiction de la cigarette, criait à la faillite. Une décennie plus tard, loin d’y avoir perdu, elle a gagné de nouveaux clients qui avaient déserté les établissements. Peut-être en ira-t-il de même pour ces dry clubs.

Mais une solution moins radicale est certainement possible. Il s’agit peut-être tout simplement d’alléger la pression qui est mise sur la consommation d’alcool. Si le fair-play, c’est hockey, peut-être que le zéro alcool, c’est hockey aussi. Est-ce vraiment difficile d’envisager dans les équipes adultes un mètre « half en half », moitié regular, moitié zéro ? Personne n’y perd, tout le monde est gagnant. Pour les équipes jeunes, la recommandation reste le zéro, à défaut d’être plein, nos jeunes auront une tête bien faite !
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