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Les maux des mots…

  • Photo du rédacteur: gauthier
    gauthier
  • 6 avr.
  • 5 min de lecture

Les efforts pour faire rayonner le fairplay de la part de l’ARBH se multiplient. Formations, séminaires, brainstorms, vidéo, tournages et appels aux figurants. Sur les terrains chez les jeunes, et parfois les moins jeunes, la tension monte et la crainte de la sanction, par carte, ne semble parfois plus être suffisante. Et si une partie du problème se situait à la racine de la communication, le langage ? Et si, à défaut de mauvaise volonté, il y avait tout simplement une erreur de compréhension ?


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Samedi matin, rendez-vous au club quarante-cinq minutes avant le match comme tous les samedis. La rencontre a lieu à domicile alors direction les vestiaires pour le briefing du coach. Même s’ils sont encore petits, c’est un rituel qui va se prolonger et même s’accentuer, alors autant l’installer dès les U11, U12, parfois même U10. On revoit les places de chacun, et les consignes de jeu, puis vient le petit « speech » de motivation. Les mots tombent et sont scandés avec beaucoup d’énergie : on ne se laisse pas faire, on se bat, on ne lâche rien, on attaque, de la hargne, de la combativité, il faut le gagner ce match.


Se battre, attaquer, de la hargne, est-ce que tous ces mots sont compris par les petits bouts assis dans leurs chaussettes et jambières encore un peu trop grandes pour eux ? Est-ce que toutes ces expressions qui nous semblent être claires, le sont aussi dans leurs têtes à peine débarrassées de Tchoupi et Pat’patrouille ? Comment se visualisent-ils le concept de « se battre » sur un terrain de hockey, et d’autant plus avec un bâton dans la main gauche ?


Un papa/coach nous partage son expérience après avoir coaché et suivi une équipe de U6 à U12 :

« Très vite, on comprend et c’est visible sur le terrain, que les termes qui nous semblent clairs ne le sont absolument pas pour eux. Même quand on quitte le tout petit terrain, et qu’on joue sur un quart de terrain, « tenir son homme » ou « écarter » ne veut absolument rien dire pour eux. Au début on scande ces mots, parce que cela fait tellement longtemps qu’on les dit et qu’on les entend, mais on a oublié que pour eux, c’est la première fois. Mais comme ils sont de bonne volonté et que l’énergie déborde, sur mais aussi en dehors du terrain, aucun d’entre eux ne s’arrêtera pour dire « attends, là je n’ai pas compris ce que tu veux nous dire ». Au contraire, ils disent oui à tout, et foncent vers l’avant tête la première. »

 

Un autre papa nous partage le retour des coachs entraîneurs à propos de son petit garçon :

« Les retours sur son jeu, sa motivation, sa technique et son esprit d’équipe sont excellents, mais il est trop gentil, pas assez agressif. Il doit muscler son jeu, être plus agressif sur le terrain. Si moi je comprends, plus ou moins, ce qu’ils veulent dire, comment dois-je transmettre ça à mon enfant ? Qu’est-ce que je dois lui dire ? De ne pas être gentil ? D’être plus agressif sur le terrain ? Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce qu’il doit changer dans son comportement et surtout comment est-ce que lui s’imagine cette consigne appliquée sur le terrain ? Est-ce qu’il va finir par donner un coup de coude, un coup de stick ou un gros coup de gueule parce qu’on lui a dit qu’il devait plus « se battre » ?»

 

Les mots que nous utilisons avec les enfants ont un impact profond sur leur développement émotionnel et comportemental. De nombreuses études en pédopsychologie ont montré qu’un langage négatif ou agressif peut altérer l’estime de soi de l’enfant et favoriser des réactions violentes ou inadaptées, même à long terme. Une étude de Statistique Canada (2004) révèle que des pratiques éducatives verbales dures sont associées à une augmentation significative des comportements agressifs chez les enfants. À l’inverse, une communication bienveillante renforce la sécurité affective et régule mieux les émotions.

 

Les enfants de 10 ans sont en pleine transition cognitive, passant de la pensée concrète à la pensée abstraite. Ainsi, face à des expressions telles que « il faut te battre mon vieux, sois plus agressif », ils peuvent éprouver des difficultés à saisir le sens figuré et interpréter ces conseils de manière littérale. Selon une étude publiée dans L’Année psychologique, la compréhension des métaphores émerge vers 7 ans grâce au développement d’habiletés métalinguistiques, mais elle n’est vraiment installée qu’après 10 ans, âge auquel l’enfant peut appréhender les métaphores dans la variété de leur réalisation.  Ainsi, à 10 ans, un enfant peut encore avoir du mal à comprendre pleinement des expressions figurées complexes, ce qui souligne l’importance d’une communication adaptée à leur niveau de développement.

 

Donc, nous savons déjà que les mots que nous utilisons, souvent issu du langage guerrier (se battre, de la hargne, un peu de fight, ne pas se laisser faire) ont un impact sur les enfants, sans pour autant que les concepts qu’ils impliquent soient compris par eux et peuvent dès lors jouer un rôle dans leurs comportements futurs sur le terrain.

 

Mais au-delà des mots, c’est toute la communication non-verbale qui joue un rôle majeur. Selon les travaux d’Albert Mehrabian, dans les échanges émotionnels, 93 % du message passe par le ton de voix et le langage corporel. Il n’y a en définitive que 7% du message qui est véhiculé par les mots, 38 % l’est par le ton de la voix, et 55 % par le langage corporel.

Les enfants, particulièrement sensibles à ces signaux, perçoivent très tôt les contradictions entre ce qui est dit et ce qui est exprimé par le corps. Une attitude incohérente – comme dire « tout va bien » d’un ton sec avec un regard fuyant – peut provoquer chez eux du stress, de l’agressivité ou un repli. Ce décalage répétitif nuit à la compréhension émotionnelle, crée de la confusion, et favorise des comportements de défense ou d’imitation de la violence. Pour prévenir cela, il est crucial d’adopter une communication cohérente, empathique et respectueuse, tant dans les mots que dans le comportement.

 

Or, il suffit de faire le tour d’un terrain et de simplement observer les spectateurs, coachs et entraineurs encourageant les enfants pour là aussi constater un « body language » plus qu’explicite. Debout, le torse légèrement penché vers l’avant, les bras levés ou tendus, parfois les poings serrés, le visage crispé, les sourcils froncés, la mâchoire serrée, le regard fixe et intense sur le terrain. Parfois on tape du pied, gesticule vivement, crie ou s’adresse à l’adversaire, ce qui ne pourrait jamais arriver. Ce sont signaux très forts : prendre de la place, ce qui est un code animal de domination, pointer ou agiter les bras, comme pour attaquer ou accuser, froncer les sourcils et resserrer les lèvres, des expressions associées à la colère.

Le corps est tendu, prêt à réagir, ce qui peut être perçu comme une posture de combat.

 

Pour un enfant ou un jeune, ce langage corporel peut être intimidant ou modélisant. Même sans paroles, il comprend que dans le sport, « être à fond », c’est crier, se tendre, faire peur. Cela banalise un comportement agressif et peut le pousser à imiter cette posture dans ses propres matchs, en pensant que c’est ainsi qu’on montre qu’on veut gagner.

 

L’interaction entre le langage et le comportement sur le terrain révèle combien les mots façonnent la mentalité des joueurs. Dans le hockey, des expressions agressives telles que « bats-toi, sois plus agressif » ne servent pas seulement à encourager l’intensité, elles modèlent potentiellement aussi une culture de confrontation qui se répercute sur le comportement individuel et collectif. Envisager l’adoption d’un langage plus nuancé et respectueux—un langage « du sérail » repensé—pourrait bien être une première étape vers une transformation des attitudes sur le terrain. Ce débat sur l’évolution de notre discours sportif ouvre ainsi la porte à une réflexion plus large sur la manière dont des mots soigneusement choisis peuvent contribuer à réduire l’agressivité et favoriser un environnement compétitif, mais aussi harmonieux.

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