Cette phrase qui semble anodine est scandée depuis le bord des terrains pendant les matchs, même chez les plus jeunes. Mais pourquoi nous fait-elle réagir ? Pourquoi fronce-t-on les sourcils en secouant la tête ? Backstick a interrogé un spécialiste pour découvrir ce qui se cache derrière ces deux mots simples mais lourds de signification.
Notre société ne tolère plus la banalité et pourtant tout le monde en a besoin

Dans un club bruxellois, deux équipes de U14 s’affrontent. Les bruits sont typiques et sentent bons le samedi midi de hockey. Un coup de sifflet par-ci, un coup de stick par-là. Un coach donne des consignes de manière énergique, et on entend des encouragements de la part de groupes de parents sur le bord du terrain. Rien de plus banal, mais tellement rassurant, ces sons nous font nous sentir en terrain connu, comme à la maison. Soudain une voix s’élève et nous fait réagir tel un labrador à la vue d’un écureuil : « Montre-toi ». On ne sait pas bien d’où et de qui cette phrase provient, certainement un parent, mais elle nous interpelle. On interroge une spectatrice : « Oui, on entend ce genre de phrases de plus en plus et même chez les petits, c’est dommage hein ? » Sans le savoir, cette maman nous le confirme, il n’y a pas qu’à nos oreilles que cet encouragement sonne faux. Mais pourquoi ?
Pour en savoir plus, nous avons interrogé Jean Van Hemelrijck, psychologue et psychothérapeute systémique. Qu’est-ce qui est à l’œuvre quand on entend cette phrase ? Qu’est-ce qui pousse un parent à la scander, et pourquoi nous questionne-t-elle ? Pourquoi a-t-on l’impression que quelqu’un passe outre une certaine limite en se permettant de la crier haut et fort ?

De l’appartenance à la singularité
« Nous sommes tous, depuis l’enfance, balancés entre deux besoins qui s’opposent :
l’appartenance et la singularité. » nous explique Jean Van Hemelrijck. Nous sommes plongés au cœur de ce paradoxe dès notre naissance. Notre nom de famille nous fait appartenir à un groupe, un clan. Il n’est pas rare d’entendre la phrase « c’est un vrai petit xxx », nous dit-il. Cette phrase nous banalise, nous perdons notre unicité, mais elle nous fait rentrer dans le groupe. Ensuite, les parents singularisent l’enfant en lui donnant un prénom. Dès ce moment, il n’est plus banal puisqu’il est lui, unique, à porter ce prénom et ce nom. L’enfant est donc en équilibre entre banalité et singularité, appartenance et unicité.
Mais la société dans laquelle nous vivons est devenue très intolérante à la banalité. Elle a porté la singularité au niveau du culte. Les média sont remplis des exploits de tel sportif, en occultant complètement l’équipe à laquelle il appartient, ou de tel CEO, en omettant de rappeler qu’il y a des milliers d’employés qui contribuent à sa réussite. Il faut être unique et les réseaux sociaux ont encore porté ce culte de l’individu à un stade supérieur. Nous vivons dans une société de la singularité, être banal n’est plus envisageable.

Faire partie d’un groupe avant tout
Pourtant inscrire son enfant à un sport d’équipe, dans un club de hockey, c’est par définition savoir qu’il portera le même maillot que les autres et donc qu’il se fondra dans ce groupe. Si on cherche à distinguer son enfant, alors pourquoi ne pas l’inscrire dans un sport individuel comme le tennis ? C’est vrai, mais il n’y a pas meilleure manière de montrer sa singularité que lorsque l’on est au plus près des autres. Seul sur un terrain de tennis, il va falloir sortir une grosse dose de talent pour être remarqué. Au sein d’un groupe en apparence uniforme, le remarquable est plus facile, même s’il est factice et ne tient qu’à une attitude ou une coupe de cheveux.
On peut se poser la question de savoir s’il est vraiment nécessaire que les petits bouts de six, sept ou huit ans portent déjà leur nom et un numéro sur leur maillot. Si cela arrange les vendeurs de vareuses, impossible de refiler celle-ci au petit frère ou de la revendre en seconde main. Qu’il s’agisse d’écologie, d’économie ou d’esprit d’équipe, les tous petits ne doivent-ils pas d’abord apprendre à faire partie d’un seul groupe avant d’être un numéro 10
Le besoin de banalité
Mais faut-il dès lors rougir de l’exploit personnel, du talent, de l’enfant qui brille et apporte une passe décisive ou un goal à son équipe ? On peut se poser la question, car en définitive, le goal est toujours marqué par quelqu’un et pas par le groupe dans son entièreté. Et c’est effectivement de dosage qu’ il est question. L’enfant a certainement un besoin d’accomplissement, de prouver aux autres et à lui-même de quoi il est capable. C’est d’ailleurs de cette manière-là qu’il va prendre sa place dans le groupe et occuper un rôle qui lui convient et pour lequel il est reconnu par ses pairs. C’est donc important qu’il le fasse et ça lui est bénéfique, autant que c’est bénéfique à l’équipe puisqu’il a mis un goal ou arrêté un tir exceptionnel.
Mais l’instant d’après, il est tout aussi important et bénéfique, qu’il retombe dans la banalité de la simple appartenance au groupe. C’est de cette manière qu’il reprend sa place dans le collectif et que celui-ci lui apportera ce bel équilibre entre reconnaissance et appartenance. Cette apparente banalité, tellement négligée aujourd’hui, est tout aussi fondamentale à l’enfant car c’est elle qui lui donne sa place dans le clan.
La dérive de l’extrême singularité est qu’à terme, l’enfant soit considéré comme un paria. A force de vouloir en permanence, l’extraire du groupe par l’exploit individuel, le risque sera pour ce petit (ou grand) joueur de se voir effectivement éjecté de ce groupe par son groupe. Même si son apport reste bénéfique à l’équipe, les autres membres en tant qu’individus se sentiront occultés. Le réflexe naturel sera alors de ne plus vouloir lui octroyer de rôle au sein du collectif puisqu’il semble ne pas vouloir y appartenir. Ne trouvant plus « sa place », ou estimant qu’il y a jalousie de ses camarades, le (mauvais) réflexe sera de le changer de groupe ou de club, ce qui aura pour seul bénéfice de recommencer à zéro mais dans un processus à l’issue similaire.
La force du loup, c’est le clan et la force du clan, c’est le loup.

Toute la difficulté se trouve donc dans la balance à trouver entre le groupe et la singularité, et c’est aussi à cela que servent les coachs. Ils, elles, sont les garants de cet équilibre ; ils ont la tâche ardue de devoir pousser les enfants à montrer leur capacité et à aller chercher le meilleur d’eux-mêmes, pour ensuite ramener cette victoire à un mérite collectif.
Comme le dit la belle phrase à propos du loup et du clan, l’enfant va puiser sa force dans ce que ses camarades lui apportent, ce qui le motive à donner tout ce qu’il a en lui au service du collectif.
Mais quel rôle pour les parents alors ?
Avant tout d’être conscient de ce difficile équilibre entre groupe et compétence individuelle. Equilibre qui est à préserver et que ces petites phrases mettent à mal. Faire confiance à la bienveillance du coach. Encourager l’équipe avant tout, et soutenir l’enfant quand il a l’impression d’être passé à côté de son match. Comme on le dit souvent, au final, le hockey, c’est un jeu et ce sont des enfants.
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